Transport maritime à la voile, le défi du déploiement à grande échelle

Les 19 et 20 juin dernier s’est tenue la troisième édition du salon Wind for Goods à Saint-Nazaire. L’occasion de faire un point sur les perspectives d’un secteur de la propulsion vélique en plein essor, avec différents projets qui se concrétisent, mais reste encore fragile.

Le salon Wind for Goods, devenu le passage obligé des acteurs de la propulsion vélique, a d’abord permis de faire un état des lieux de la filière, résumé par Gavin Allwright, secrétaire général de l’International Windship Association : “Aujourd”hui, 71 navires de charge naviguent sur la planète équipés d’un système de propulsion vélique, principal ou secondaire, 130 sont commandés. Cela double presque chaque année. En 2030, nous visons 1 200 navires neufs et 400 rétrofités en commande.”

Des chiffres qui montrent que la dynamique est bien lancée dans le monde, notamment en France, où la flotte compte 11 navires en opération et 15 en commande ; ils n’étaient que deux en construction en 2023. “Un cap très important a été franchi, car après une longue gestation, des bateaux neufs naviguent enfin, Canopée pour ArianeGroup, Grain de Sail II, Anemos et Artemis chez Towt et très bientôt Neoliner Origin, se félicite Lise Detrimont, déléguée générale de l’association française Wind Ship. Notre pays est en pointe grâce à des armateurs engagés, une industrie performante, issue notamment de la course au large, et à l’aide publique, avec déjà 60 M€ investis.”

A l’horizon 2030, la filière tricolore projette 4 600 emplois créés, pour 1,6 milliard de chiffre d’affaires et 500 navires en commande. Pour autant, la bataille n’est pas gagnée face à la compétitivité des transports carbonés, avantagés par des coûts de construction plus faibles et un prix du carburant encore très bas. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, l’Organisation maritime internationale (OMI) a prévu des objectifs de décarbonation, accompagnés de mesures incitant les armateurs à transporter plus vert, avec des pénalités en cas de dépassement d‘émission de CO2 (100 dollars la tonne puis 380 dollars). Mais le texte voté en octobre prochain ne sera effectif qu’en 2028, une échéance lointaine pour une filière vélique française qui a besoin d’être consolidée.

“L’avenir de la filière dépend du soutien stratégique que le pays saura lui accorder”, considère Lise Detrimont, qui au nom de Wind Ship, soutient la proposition de loi déposée début juin à l’Assemblée Nationale par 60 députés, visant à reconnaître le transport maritime à la voile comme un pilier de l’économie bleue française. “Cette loi doit aussi sécuriser fiscalement les investissements dans ces navires et mobiliser des financements”, précise Jimmy Pahun, député du Morbihan, co-dépositaire de cette proposition de loi et régatier bien connu, lui qui fut notamment un véritable pilier du Tour de France à la voile.

SolidSail Mast Factory sortira un mât par mois

Parmi les principaux projets en cours de concrétisation, Neoliner Origin, qui sera mis en service en août, est un bon exemple de la mobilisation d’acteurs français, et particulièrement bretons, autour de la propulsion vélique. Ce roulier de 136 m compte deux mâts de 89 mportant chacun 1 050 m2 de panneaux de voiles rigides et un foc souple de 450 m2. Ce gréement, fruit de quinze ans de développement, a abouti à la création, en 2023, de SolidSail Mast Factory, société qui, autour des Chantiers de l’Atlantique, à l’origine du projet SolidSail, réunit cinq entreprises de la Bretagne Sailing Valley pour la plupart issues du monde de la course, Multiplast, CDK Technologies, Lorima, Avel Robotics et SMM.

Pour répondre à la demande de gréements destinés à des navires de transport, la construction d’une usine a été lancée il y a deux ans, cette dernière a été inaugurée en janvier à Lanester et va monter en puissance dans les prochains mois, puisqu’elle emploiera 35 personnes en 2026. “Elle est calibrée pour sortir un mât par mois”, précise Nicolas Abiven, responsable du projet pour les Chantiers de l’Atlantique – et lui aussi ancien coureur, il avait remporté la Transat Jacques Vabre 2003 avec Jean-Pierre Dick. 

Dans la foulée des mâts de Neoliner Origin, SolidSail Mast Factory produit actuellement ceux de deux super yachts de croisière pour Orient Express, la marque de croisière de luxe du groupe Accor. “Actuellement nous travaillons sur la finition des mâts du premier Orient Express. Comme Neoliner Origin, il va montrer la voie. Mais nous avons encore du chemin à parcourir pour diviser nos coûts par deux et prétendre rivaliser avec le prix de construction des cargos traditionnels”, commente Nicolas Abiven.

Parmi les fournisseurs de gréément innovants, la Bretagne compte aussi la start-up Cormoran, basée à Lorient, qui a développé un concept de voile rigide et solaire, qui a déjà reçu une commande, de la part de l’opérateur français Selar pour un yacht d’expédition polaire en cours de construction à l’île Maurice par le Chantier naval de l’Océan indien. “Long de 70 m, Captain Artic sera équipé de cinq voiles en aluminium de 35 m de haut recouvertes de 1 000 m2 de panneaux solaires sur chaque face”, détaille Laurent Mermier, fondateur et PDG de Cormoran.

En avril dernier, la compagnie lorientaise Windcoop a elle aussi franchi un pas décisif en annonçant la construction de son premier porte-conteneurs par le chantier RMK Marine. Le navire sera propulsé par trois ailes rigides CWS et mis en service en 2027 entre Marseille et Madagascar.

 Feuille de route vélique votée par la Région Bretagne

A l’échelle du plan d’eau breton, les projets sont aussi légion, notamment en ce qui concerne le transport des passagers. La compagnie Le Passeur des îles, qui officie dans le golfe du Morbihan, mettra à l’eau en août prochain son premier voilier à transport de passagers. D’une capacité de 58 personnes et 15 vélos, il a été conçu et construit quasiment à 100 % dans le Morbihan. Dans la même veine, son voisin Iliens, qui relie Quiberon et Belle-île depuis cinq ans, ambitionne d’ajouter un second catamaran à sa flotte en mai 2026, tandis que Sailcoop fait construire un nouveau catamaran à voiles pour le déployer à horizon 2026 sur une ligne en Bretagne ou en Méditerranée. Chez Le Caboteur des îles, c’est de transport de marchandises en baie de Quiberon dont il est question. La compagnie a démarré une levée de fonds pour acquérir Grain de Sail I, voilier cargo de 24 m. 

Cette effervescence bretonne répond aux ambitions des élus : “La Région a voté une feuille de route vélique pour stimuler l’écosystème et lui donner un élan dans les dix prochaines années, confirme Loïc Hénaff, conseiller régional, délégué aux relocalisations d’activités, au fret et à la logistique. Il faut expérimenter des solutions à partir des 22 ports dont la Bretagne est propriétaire.” Dans ce cadre, la Région Bretagne a commandé à la compagnie Zéphyr & Borée une étude sur les opportunités de report modal du transport de marchandises de la route vers la mer. Elle révèle des perspectives prometteuses de développement du cabotage à la voile en fonction de l’éloignement entre chaque port.

“Sur de longues distances et avec de grands navires, les gains économiques et écologiques du cabotage par rapport au fret routier augmentent significativement”, affirme Marion Bolloc’h, project manager en charge de l’étude. Décarboner le fret maritime ou remplacer le fret routier, la filière vélique fait décidément feu de tout bois.

BDI a recensé en 2025, 177 acteurs bretons de la filière transport vélique. A retrouver sur sa cartographie en ligne