Comment le transport maritime à la voile poursuit sa progression audrey, 13 janvier 202513 janvier 2025 Une cinquantaine de navires dans le monde sont aujourd’hui équipés de systèmes véliques dans un objectif de décarbonation, un chiffre qui devrait doubler au premier semestre 2025. Si le transport maritime à la voile se développe, il reste encore quelques étapes à franchir pour le structurer. État des lieux avec plusieurs acteurs d’un secteur fortement implanté en Bretagne. “Sur les 60 000 navires de charge qui circulent dans le monde, une cinquantaine – essentiellement des vraquiers et des rouliers – sont équipés de systèmes véliques, explique en préambule Lise Detrimont, déléguée générale de l’association Wind Ship. C’est peu, mais en 2023, il n’y en avait qu’une vingtaine, donc cela veut dire que l’évolution va dans le bon sens.” Parmi eux, figurent onze navires français. Certains utilisent le vent comme propulsion principale, comme les deux navires de Grain de Sail, les deux de Towt, ou Persévérance destiné à l’expédition Polar POD de Jean-Louis Etienne. D’autres exploitent le vent comme propulsion auxiliaire : c’est le cas de Canopée, roulier de 121 mètres équipé de quatre ailes articulées, destiné au transport d’éléments de la fusée Ariane 6, qui a déjà réalisé six transatlantiques et économise 3,5 tonnes de carburant – soit une baisse de la consommation de 25 à 50% – chaque jour grâce à elles. Il existe également plusieurs navires reconfigurés, comme le pétrolier Alcyone, désormais équipé d’un système de mâts rotors ; le roulier MN Pélican, sur lequel ont été testées avec succès les ailes gonflables Wisamo développées par Michelin ; le gazier Forbin, sur lequel Beyond The Sea, la société créée par Yves Parlier, est en train d’installer ses ailes de kite ; ou encore le roulier Ville de Bordeaux, qui transporte des éléments d’avions pour Airbus et a opté pour un système d’ailes aspiratrices. Pour le transport estival des passagers vers les îles du sud Bretagne, on compte également les bateaux de Sailcoop, des Iliens et du Passeur des îles qui termine la construction d’un monocoque en aluminium de 16m. Enfin, dans le secteur de la pêche, on compte aussi des navires de travail de plus petite taille comme Skravik. “Le carnet de commandes de la filière vélique continue de s’étoffer avec 120 nouveaux navires qui devraient être mis à l’eau entre 2025 et 2027”, poursuit Lise Detrimont. Là encore, les projets français sont en pointe, avec notamment le roulier Neoliner, les deux paquebots de luxe commandés aux Chantiers de l’Atlantique par Orient Express, marque du groupe Accor (le premier entrera en service en 2026), trois navires pour Louis Dreyfus Armateurs, le trimaran Vela, ainsi que six nouveaux bateaux pour Towt et celui de Selar, destiné à naviguer en croisière en Arctique. Des porte-conteneurs dans les tuyaux Et s’il n’existe encore aujourd’hui aucun porte-conteneurs équipé de systèmes véliques, plusieurs sont dans les tuyaux. Le futur Grain de Sail III, bateau de 110 mètres, est attendu en 2027, tandis que la compagnie maritime Zéphyr et Borée, spécialisée dans le transport décarboné, accompagne les projets Windcoop et Williwaw. Ce dernier porte sur cinq porte-conteneurs pour lesquels, selon Nils Joyeux, président de Zéphyr & Borée, “le financement devrait être bouclé au premier semestre 2025, nous avons sécurisé 260 000 conteneurs par an avec les chargeurs.” Si les projets liés à la décarbonation du transport maritime se développent sur tout le littoral français, une grande majorité des acteurs de cet écosystème est implantée en Bretagne. C’est le cas de l’entreprise SolidSail Mast Factory, qui vient de boucler la construction d’une usine à Lanester destinée à la construction des mâts SolidSail. “Les premiers tests de l’usine auront lieu au premier semestre 2025, avant le véritable lancement de la production”, souligne Luc Talbourdet, directeur d’Avel Robotics, qui, fait partie des cinq entreprises bretonnes (avec Multiplast, CDK Group, Lorima et SMM), associées aux Chantiers de l’Atlantique sur cet ambitieux projet. “Pour être compétitifs, il nous fallait changer d’échelle, poursuit-il. L’objectif est en effet de fabriquer six mâts par an, contre seulement deux et demi actuellement, et à terme, un par mois. Nous avons déjà réalisé les mâts du Neoliner et allons construire les six espars des deux bateaux commandés par Orient Express. Le carnet de commandes se remplit et valide l’option d’avoir créé cette entreprise collective.” Quid de la réglementation pour ces navires à propulsion vélique ? “Il n’y en a pas, ou alors très à la marge, répond Maximilien Basquin, directeur général deBureau Véritas Marine & Offshore, société de classification qui a rejoint l’association Wind Ship en 2019. Nous avons donc pris les devants en réactualisant une réglementation des années 1980 que l’on fait évoluer au fur et à mesure des projets sur lesquels nous travaillons. Elle s’attache à toute l’étude structurelle du gréement et de son implantation sur le navire, ainsi qu’à toute la mise en sécurité du système.” D’autres grandes sociétés de classification se sont également intéressées au sujet avec leur propre règlement, précise-t-il. En parallèle, il existe “un éventail de réglementation pour inciter les armateurs à réduire leur empreinte carbone”, souligne Nils Joyeux. Ces réglementations, qui existent au niveau de l’Union Européenne et de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) “ne sont toutefois pas harmonisées, donc pas assez lisibles et surtout pas assez dissuasives”, commente Lise Detrimont. Qui précise : ”Par exemple, la réglementation FuelEU Maritime oblige les navires à réduire de 2% leurs gaz à effet de serre d’ici 2025 et de 6% d’ici 2030. Et à partir de 2025, les armateurs devront payer les quotas liés aux tonnes de carbone émises par leurs navires. Cette dernière mesure est intéressante, mais ce n’est pas assez, les armateurs préféreront payer des pénalités plutôt que d’investir dans des solutions véliques qui vont pourtant être considérablement améliorées dans les années qui viennent.” Pour Nils Joyeux, “avec le surcoût des voiles et de la construction du bateau – pour offrir une capacité de charge égale, le bateau doit être plus grand – le retour sur investissement n’est pour l’instant pas assez rapide. Les compagnies maritimes ne prennent aujourd’hui pas le risque et attendent de voir si ça va décoller.” D’où la nécessité pour les promoteurs de la propulsion par le vent de faire la preuve que la performance peut être au rendez-vous et de convaincre les chargeurs, et plus largement les élus et le grand public, qu’éco-responsabilité peut rimer avec viabilité économique. Concernant le coût d’exploitation des navires, objet du dernier Sailing Café organisé par Bretagne Développement Innovation le 19 décembre dernier (voir le replay), Lise Detrimont explique : “Il n’y a pas de surcharge liée à une augmentation de l’équipage, car les manœuvres sont en grande partie automatisées et les économies de carburant permettent d’abaisser la facture de fuel à hauteur de l’intensité d’utilisation du vélique. La marge réalisée augmentera avec l’augmentation des coûts du carburant et les pénalités associées à sa consommation.” Le dernier obstacle qui, pour l’instant, freine les armateurs est, selon la déléguée générale de l’association Wind Ship (dont vous pouvez lire la dernière newsletter) “l’intermittence du vent, il y a des routes maritimes, comme les transatlantiques, qui sont extrêmement intéressantes, mais certaines autres zones maritime sont moins propices à du vent constant, cela nécessite de l’adaptabilité et, pour optimiser l’usage du vent, il faut accepter de ralentir.” En travaillant sur des routes plus directes et une optimisation fine des routages, les armateurs réussissent à s’engager sur un nombre de jours de transit et des heures d’arrivée aux ports beaucoup plus précises que les navires de transport traditionnels. Le challenge reste aujourd’hui de changer les mentalités et les habitudes, ce à quoi s’attellent aujourd’hui tous ces acteurs de la décarbonation du transport maritime. Propulsion vélique avel roboticsBureau Veritas Marine & OffshoreSolidSailMastFactoryWindshipZéphyr&Borée