Ultim Adagio : journal de bord du vieux loup de mer de la course guillaume, 5 février 202427 juin 2024 Skippé par Eric Péron, Adagio est le doyen des six navires qui se sont élancés de Brest pour l’Arkea Ultim Challenge, première course autour du monde dédiée aux Ultims. Avec Xavier Guilbaud, architecte naval au sein du cabinet VPLP Design qui l’a conçu, nous avons retracé l’histoire de ce navire témoin de l’évolution des trimarans et de leur adaptation aux standards technologiques d’aujourd’hui. Aux origines d’Adagio était Géronimo Plus de 20 ans et tout son portant. Parmi les 6 Ultims qui parcourent actuellement les mers du globe dans le cadre de l’Arkea Ultim Challenge-Brest, il en est le doyen. Adagio compte déjà plusieurs années de circuit au compteur, ainsi que plusieurs skippers à s’être succédé à sa barre, jusqu’à aujourd’hui, avec Éric Péron. Mais avant d’arborer le nom de la société d’hôtellerie sur sa grand-voile, il a été affublé de plusieurs patronymes. À l’origine, il est mis à l’eau en 2001 sous le nom de Géronimo et est le fruit de la collaboration entre les architectes navals de VPLP Design et Olivier de Kersauson afin de concevoir un trimaran à même de battre le record du Trophée Jules-Verne. Exploit finalement réalisé par le skipper le 29 avril 2004, en 63 jours, 13 heures 59 minutes et 46 secondes. “Pour l’époque, Géronimo était un navire grand par sa taille, mais relativement simple dans sa conception, relève Xavier Guilbaud, architecte naval associé au sein du cabinet VPLP Design. C’était un trimaran assez classique, extrapolé des trimarans hors mât de l’époque. Il était cependant plus simple au niveau de ses appendices. Il n’avait qu’une dérive et un safran dans la coque centrale et rien dans les flotteurs. Ce choix de conception était lié à la volonté et à la manière de naviguer d’Olivier de Kersauson, tout en glisse sur la coque centrale et les flotteurs en appui.” Le record sur le Jules-Verne inscrit à son palmarès, Géronimo écume les mers et en fait tomber d’autres (Tour d’Australie en 2005 et Sydney-Tahiti en 2005, San Francisco-Yokohama en 2006), affublé d’un partenariat avec Cap Gemini et Ernst & Young. Après avoir ajouté le record de la traversée entre Yokohama et San Francisco à son palmarès en 2006, il est rapatrié à Brest à l’issue du contrat de sponsoring. Le début d’une longue période de six années sans toucher l’eau… Le passage à la classe Ultim avec Sodebo Géronimo est mis en vente en 2011. Fin d’année 2012, Thomas Coville est en quête d’un nouveau navire. “À la suite de la Route du Rhum 2010 remportée par Franck Cammas sur Groupama 3, beaucoup s’intéressaient au navire. Malheureusement pour Thomas, Banque Populaire lui est passé devant pour le racheter. Il a donc pensé à Géronimo pour son projet.” L’actuel skipper de Sodebo Ultim’ 3 contacte alors VPLP Design pour voir les modalités de réfection du navire et ainsi le faire entrer dans la jauge de la classe Ultim. “La plateforme était alors relativement saine, souligne Xavier Guilbaud. En termes de taille, elle était assez similaire à Groupama 3. Moyennant quelques mises à jour, il était possible d’en faire un navire performant. Géronimo étant un navire destiné à des courses en équipage, il nous a fallu l’alléger et le remettre au goût du jour.” Un témoignage de la collaboration du microcosme breton à chaque échelon d’un programme Lors de sa principale modification, en 2012 pour se muer en Sodebo Ultim, Géronimo mobilise l’essentiel du savoir-faire breton en matière de voile de compétition. « Nous nous sommes donc chargés de la nouvelle conception du navire. Nous travaillons historiquement en ingénierie avec GSEA Design, basé à Lorient, pour toute la partie structure. Multiplast, qui avait déjà travaillé sur la fabrication de Géronimo, est de nouveau intervenu pour cette évolution. Le mât a été fabriqué chez Lorima à Lorient. Une partie de l’écosystème breton a été embarquée dans ce projet, comme s’il s’agissait de construire un navire neuf.” Nouveau mât, coque centrale redessinée, flotteurs découpés avec un nouveau tronçon d’environ 8m en avant du bras avant, étraves “peu plongeantes et moins volumineuses pour permettre aux flotteurs de rentrer dans les vagues et ne pas rebondir” font partie des nombreuses modifications subies par le navire au chantier naval Multiplast de Vannes. Avec un “budget assez limité à l’époque”, le choix est fait d’opter dans la récupération de pièces à implémenter au futur Sodebo. C’est le cas des foils, par exemple. “Typiquement, ce sont les foils du trimaran Oracle qui a remporté la Coupe de l’America en 2010, que Thomas a réussi à racheter. Ils sont assez allongés et plutôt performants. Nous leur avons seulement ajouté des extensions (tips) vers le haut pour permettre aux foils de développer un peu plus de portance. Autrement, nous avons redessiné les puits de foils et la structure autour de ces géométries.” Le navire prend la mer pour la première fois en compétition dans cette configuration sur la Route du Rhum 2014. Une aventure de courte durée qui sera stoppée net à la suite d’une collision avec un cargo lors de la première nuit de la course. Deux ans plus tard, Thomas Coville inscrit son nom au palmarès des records du tour du monde à la voile sur le navire. Il devient le premier navigateur à parcourir les mers du globe en moins de 50 jours, en 49 jours 3 heures 4 minutes et 28 secondes. Loin devant son prédécesseur, Francis Joyon (57 jours 13 heures 34 minutes et 6 secondes). Des différences notables avec les Ultims dernière génération, mais une plateforme toujours convaincante Depuis sa principale mise au goût du jour pour Thomas Coville, Géronimo a vu se succéder bon nombre de skippers et de sponsors. D’Actual Leader (Yves Le Blevec) à Adagio (Éric Péron), en passant par Mieux (Arthur Le Vaillant), il a apporté la preuve concrète qu’un navire peut avoir plusieurs secondes jeunesses, notamment grâce à la technologie carbone. “L’histoire montre bien que le carbone est une structure qui tient bien dans le temps. Un autre navire, plus ancien que Géronimo, l’a prouvé. Formule Tag, désormais skippé par Victorien Erussard et converti en navire à hydrogène a été construit en 1983 en carbone et nid d’abeille.” Géronimo a suivi de nombreux programmes de course depuis sa première mise à l’eau. Aujourd’hui présent sur l’Arkea Ultim Challenge-Brest en tant qu’Adagio, il souffre de la comparaison avec les navires volants. “Il a une forme de coque différente par rapport aux autres. Aujourd’hui, quand nous dessinons une coque, nous le faisons autour des foils et des appendices. Nous cherchons des formes plus tendues, carrées et moins rondes afin d’avoir plus de puissance. Il y a aussi les bras qui diffèrent énormément. Notamment si on le compare avec SVR-Lazartigue, par exemple.” Adagio fait donc partie des nombreuses preuves flottantes que le retrofit de navires est l’un des meilleurs moyens de concilier voile de compétition avec enjeux environnementaux et qu’un bateau de vingt ans d’âge peut toujours être performant et être inscrit au départ d’une course autour du monde. “Adagio est certes moins rapide que les autres Ultims, notamment car c’est un bateau archimédien et donc qui ne vole pas, atteste Xavier Guilbaud. Mais il peut toujours tenir des vitesses moyennes assez élevées, de l’ordre de 25 à 30 nœuds. Il reste typé pour un programme tour du monde de par sa robustesse. Et si, un jour, ses performances ne lui permettent plus de faire de la course, alors il pourra, moyennant des ajustements, être transformé en navire de travail ou de croisière…” Crédit photo : ©Ronan Gladu / Simeli prod Voile de compétition adagioarchitecture navalearkea ultim challenge brestvplp design