Sébastien Guého : « Toutes les pièces que nous conçevons sont en mouvement » audrey, 6 octobre 20252 octobre 2025 Basée à Lorient, au cœur de la Bretagne Sailing Valley, GSea Design est une référence en ingénierie des structures composites. Dirigée par Sébastien Guého, l’entreprise met son expertise au service de la course au large et divers projets industriels. Entre recherche académique, logiciels maison et projets emblématiques comme Neoline ou les Ultim, GSea Design illustre parfaitement l’innovation bretonne de la voile de compétition tournée vers la performance et l’avenir. Pouvez-vous vous présenter brièvement ? Je suis Sébastien Guého, dirigeant de GSea Design depuis 2022. Avant, j’étais associé avec Denis Gléhen, fondateur et dirigeant de l’entreprise de 2010 à 2022. Je suis ingénieur de formation et j’ai commencé chez HDS, une société basée à Brest, où travaillait également Denis. En 2015, nous avons fusionné nos structures et depuis, je pilote la transformation de GSea Design. L’entreprise est passée de 8 passionnés de bateaux de course à 25 collaborateurs, et nos activités s’étendent désormais au-delà de la course au large, avec aussi des projets industriels. De 8 passionnés de course à 25 experts : la transformation de GSea Design Quelles sont les activités principales de GSea Design ? Nous sommes un bureau d’études spécialisé dans le calcul de structure. Cela veut dire que nous faisons de la conception et du dimensionnement, mais aussi du développement logiciel, parce qu’il faut disposer d’outils performants pour mener nos calculs. Nous faisons aussi de la recherche : nous en sommes à notre quatrième thèse en quinze ans, ce qui est une fréquence assez élevée. Les sujets ont d’abord concerné les matériaux et leur comportement mécanique, puis les vibrations et aujourd’hui l’analyse des données embarquées dans le nautisme et le maritime. Ce qui prend de plus en plus d’importance, c’est justement l’exploitation de ces données, pour comprendre le comportement réel des pièces en service, corréler nos modèles numériques et être capables de mieux prédire leurs performances et leur durée de vie. Ces thèses et recherches sont-elles appliquées directement à vos projets ? Oui, absolument. Les travaux sur les matériaux nous ont permis de progresser dans la conception. Une autre thèse sur les quilles en vibration et le flutter. Toutes nos thèses ont débouché sur des logiciels utilisés au quotidien, notamment pour la Coupe de l’America. Aujourd’hui, nos recherches sur l’analyse de données embarquées s’appliquent déjà sur nos projets. Comment vos travaux sont appliqués pour la Coupe de l’America ? Nous travaillons depuis longtemps sur les mâts et les appendices de nombreux types de bateaux. Sur la Coupe, nous développons par exemple des méthodes d’analyse du comportement des mâts avec des fibres optiques. Sur les appendices, nous explorons le comportement en vibration, le flottement, et nous cherchons toujours à perfectionner nos méthodes de calcul. L’objectif est de gagner quelques dixièmes de performance, parfois même quelques centièmes, et ce sont ces détails qui font la différence à ce niveau-là. Ce sont des développements que nous menons en interne et que nous avons déjà appliqués sur l’édition précédente, et que nous continuons à exploiter pour les prochaines campagnes. Le carbone et les composites haute performance au cœur du métier Sur quels matériaux travaillez-vous ? Notre cœur de métier, ce sont les structures en carbone, ce que l’on appelle les composites de performance. Ces dernières années, nous avons aussi exploré la question de l’éco-conception. Mais pour bien éco-concevoir, il faut d’abord comprendre les chargements réels subis par les pièces. C’est assez simple dans l’automobile, beaucoup plus complexe pour certaines pièces nautiques. C’est pour cela que nous avons lancé une thèse sur l’analyse de données embarquées, afin de mieux comprendre ce que vivent les structures dans leur utilisation réelle. Toutes les pièces que nous concevons sont en mouvement, c’est 99 % de notre activité. Nous ne faisons pas du mobilier urbain, mais des pièces soumises à des contraintes dynamiques. Le gain de masse est donc toujours attendu, et cela suppose de travailler sur des structures composites haute performance, avec de gros volumes de calcul, une connaissance fine des matériaux et une compréhension précise du milieu dans lequel ces pièces évoluent. Pouvez-vous citer quelques projets emblématiques ? Par exemple, nous avons conçu les voiles rigides du cargo à voile Neoliner Origine, développées avec Chantiers de l’Atlantique. C’est un projet démarré dès 2013, avec plusieurs boucles de recherche avec des universités afin d’affiner nos hypothèses. Dans la course au large, nous travaillons sur les Ultimes comme Banque Populaire, Sodebo et SVR-Lazartigue, où nous avons conçu l’ensemble des pièces (foils, mâts, bras, plateformes, etc.). Nous équipons aussi la classe IMOCA avec des pièces standardisées (mâts, quilles, bômes), utilisées sur tous les bateaux du Vendée Globe. Toutes ces pièces sont issues de nos travaux, matériaux, comportements, analyses de données pour améliorer d’une génération à l’autre. Nous avons également participé à des projets comme l’IMOCA Paprec Arkea et TRRacing sur lesquels tout a été fait chez nous. Lorient, un écosystème unique pour innover En quoi l’implantation à Lorient, au cœur de la Bretagne Sailing Valley, est-elle un atout ? C’est un environnement naturel pour nous : nous étions à Brest avant, puis à Lorient. La proximité avec les chantiers et les équipes de course facilite énormément les échanges, les réunions, le suivi de pièces en atelier. Les événements organisés par Bretagne Sailing Valley favorisent aussi les rencontres entre acteurs. C’est une dynamique efficace : dans la voile, on peut aller très vite sur des projets complexes avec des équipes relativement petites, contrairement à d’autres secteurs comme l’aéronautique ou la Formule1. Nous avons besoin de cette proximité afin d’être réactif et répondre aux enjeux qui sont très challengeants d’un point de vue timing. Quels sont vos axes de recherche pour l’avenir ? Dans l’aéronautique comme dans l’industrie, on représente souvent le cycle de conception sous la forme d’un V. On part du haut : on définit les hypothèses, on calcule, on conçoit, et en bas du V, on construit la pièce. Ensuite, il faut remonter le V, c’est-à-dire tester la pièce, vérifier que son comportement correspond bien au modèle numérique, puis la surveiller en utilisation réelle. Pendant trente ans, on a surtout fait la descente du V, avec peu de remontées. Aujourd’hui, les choses changent. On a beaucoup plus accès aux données, on dispose de moyens numériques pour faire tourner des modèles plus complexes et plus proches de la réalité. Toute cette partie de la « remontée du V » est cruciale et c’est là que nous concentrons nos efforts. Une fois qu’on aura une meilleure corrélation entre nos hypothèses de calcul, nos modélisations et la réalité physique, alors on pourra ouvrir de nouvelles perspectives. On pourra par exemple exploiter des approches comme l’intelligence artificielle pour traiter la donnée et accélérer nos méthodes de design. Quelles pistes de diversification explorez-vous au-delà de la course au large ? Nous avons une forte culture maritime puisque 95 % de nos projets touchent à l’eau de mer. La course au large et la plaisance représentent environ 65 % de notre activité, le reste concerne ce qu’on appelle l’industrie maritime, avec par exemple le transport maritime ou des collaborations avec de grands groupes comme Naval Group ou Thales. Pour nous, la diversification, c’est tout ce qui sort du nautisme au sens strict. Il y a aujourd’hui des pistes très intéressantes du côté des drones. On retrouve exactement les mêmes problématiques que dans la voile : la masse embarquée, le fait que plus c’est léger, moins ça consomme et plus ça va loin. Ces drones peuvent avoir des usages scientifiques, mais aussi spatiaux, avec des projets visant à réduire le coût des lancements de satellites, et bien sûr des applications de défense, sur lesquelles nous travaillons déjà avec certains acteurs. Et puis dans le nautisme, au-delà de la course, il y a aussi les chantiers de série, comme Lagoon ou Fountaine Pajot, avec lesquels nous collaborons sur des bateaux de croisière. Nous travaillons également sur des projets uniques, les « one-off », comme de grands catamarans. Enfin, il y a les mâts : c’est un domaine que nous connaissons particulièrement bien et où nous intervenons pour la croisière, pour la course, mais aussi pour les cargos à voile. C’est une pièce spécifique, mais qui reste au cœur de notre expertise. Propulsion vélique Voile de compétition bureau d'étudescalcul de structureCourse au largegsea design