Grain de Sail : torréfacteur, chocolatier, pionnier du transport vélique moderne et entreprise engagée en RSE guillaume, 11 janvier 202427 juin 2024 Quand les frères Jacques et Olivier Barreau se lancent dans leur nouveau projet en 2010, c’est avec l’objectif clairement annoncé de relancer le transport maritime décarboné. À peine dix ans après, leur rêve se concrétise avec la première traversée transatlantique de leur voilier cargo Grain de Sail I. Pour le voir aboutir, ils ont développé un modèle économique d’entreprise unique. Après avoir ouvert une usine de torréfaction de café et une chocolaterie à Morlaix, développé une activité dédiée à la vente de vins bios français d’exception à New York, Grain de Sail est également devenu armateur maritime et commissionnaire de transport. Alors que leur second navire Grain de Sail II s’apprête lui aussi à rejoindre les côtes américaines, l’entreprise morlaisienne s’appuie aujourd’hui sur une démarche écoresponsable inspirante, mixant qualité, goût de l’aventure et développement durable dans chacune de ses actions. Stefan Gallard, directeur marketing chez Grain de Sail, détaille pour nous les projets de cette figure de proue de la RSE. Comment a débuté le projet Grain de Sail ? Dès la création officielle en 2012, les frères Barreau ont cherché à combiner une approche environnementale basée sur des moyens de transport maritimes bas-carbone, avec une approche entreprise aussi vertueuse que possible, qui repose sur un projet social fort. Pour cela, ils ont d’abord créé une activité agroalimentaire terrestre, vouée à être couplée à une activité maritime. Tout a démarré avec la torréfaction de café en 2012, puis la partie chocolaterie en 2015. C’est à partir de 2018 que Grain de Sail signe avec un chantier naval pour lancer la construction de notre premier voilier cargo. Le deuxième bateau est livré fin 2023 et sera mis en service dans quelques semaines début 2024. Inverser le projet et débuter par cette activité agroalimentaire a permis deux choses. D’une part, les besoins de production ont généré des besoins de transport, ce qui nous a permis de savoir ce qu’on allait transporter dans le navire. Et d’autre part, la vente des produits a permis de générer une capacité de financement, indispensable pour de tels projets. Depuis la création, ce sont plus de 500 tonnes de tablettes de chocolat et près de 100 tonnes de café qui sont vendus chaque année en Bretagne, Pays de la Loire, Normandie et région parisienne. Jacques et Olivier Barreau, les cofondateurs de Grain de Sail. Grain de Sail, une aventure basée sur trois préceptes Sur quelles valeurs repose aujourd’hui la démarche de Grain de Sail ? Trois valeurs sont essentielles chez nous. Tout d’abord, la qualité de nos produits et de nos services prime. Cela passe notamment par un gros travail de sourcing en amont pour la fabrication de nos cafés et de notre chocolat, mais aussi par la maîtrise de nos outils de production, ou encore l’élaboration de recettes avec des personnes très compétentes. Beaucoup d’éléments sont mis en œuvre pour obtenir des produits de très haute qualité. Par ailleurs, le goût de l’aventure est au cœur de notre histoire. Notre aventure maritime dénote par rapport à beaucoup d’autres acteurs sur le marché, mais c’est aussi une aventure humaine, et une aventure d’entreprise où l’on essaye de faire les choses différemment. Enfin, le développement durable est aujourd’hui incontournable et nous travaillons ses 3 aspects – environnemental, social et économique – en parallèle. En matière d’environnement, comment l’entreprise se démarque-t-elle ? L’axe environnemental est représenté chez nous par nos navires, mais pas seulement. Notre flotte se veut entièrement propulsée par la voile, afin de transporter mieux mais fondamentalement aussi transporter moins. Cette réflexion sur notre façon de consommer et de produire va bien au-delà de Grain de Sail. Transporter moins, c’est se poser la question de ce qui mérite d’être transporté. Lorsqu’un produit justifie d’être transporté, alors la question se pose de le transporter mieux. Faisons l’effort, autant que possible, d’avoir une approche environnementale plus responsable. Typiquement, pour le café et le chocolat, soit on s’en passe ici en Europe, soit on essaye d’avoir une approche aussi écologiquement responsable que possible. Pour ces deux produits, nous n’avons pas d’autre choix que d’aller chercher la matière première en Afrique ou en Amérique Latine. Donc soit on s’en passe complètement, soit on travaille d’abord en amont sur le sourcing avec des plantations qui travaillent en bio, dans des systèmes d’agroforesterie, sur des petites exploitations, comme Grain de Sail le fait. Et ensuite, pour traverser les 5 à 7 000 km qui nous séparent des pays fournisseurs, la question du moyen de transport se pose réellement. Derrière, la question fondamentale est celle de consommer moins : privilégier la qualité à la quantité. Il y a donc aussi un travail à réaliser autour du consommateur. Oui, notre chocolat coûte plus cher, mais ce prix se justifie. On vise le prix de 3 euros la tablette de 100 g de chocolat bio, ce qui est premium dans la grande distribution, mais clairement pas sur le marché du chocolat. Une grosse partie de notre prix est liée au fait qu’on achète nos matières premières en bio. Si on rajoute à cela, le coût de 10 à 12 centimes lié au transport par voilier cargo, notre petite taille qui ne nous permet pas de réaliser des économies d’échelle, et notre politique d’achat calquée sur le commerce équitable, on arrive facilement à 1 euro d’écart avec nos concurrents. Alors oui, on pourrait aller au-delà des 3 euros, mais ce ne serait pas pérenne. Nos produits ne seraient plus accessibles à une certaine tranche de la population. Or, beaucoup de nos clients réalisent, à travers leur achat, un acte politique engagé. L’approche tarifaire vise à maintenir cette équation. Et lorsque c’est faisable, il faut aussi envisager de rapatrier la production pour travailler en local autant que possible. Au-delà même du fait que Grain de Sail produise en Bretagne, cela signifie aussi favoriser des fournisseurs locaux, voire bretons, tout en répondant à notre cahier des charges. Nous arrivons à faire beaucoup en Bretagne, que ce soit avec des cabinets d’études pour nos usines, des partenaires industriels ou des fournisseurs d’ingrédients (comme le lait fourni par la Sill). Donc essayons de consommer moins, mais mieux, et privilégions les circuits courts. Et puis, lorsque ce n’est pas possible de consommer en local, réfléchissons à la manière d’acheminer ces matières premières jusqu’à nous. Et si c’est réaliste et réalisable, utilisons d’autres moyens de transport. Le transport vélique génère ainsi une économie carbone supérieure à 95%. Par ailleurs, nos fondateurs sont experts en énergies renouvelables. L’un est thermicien de formation, et l’autre ingénieur des matériaux. Les frères Barreau ont donc une sensibilité développée, mais aussi une connaissance assez fine, qui nous a permis de réfléchir à la conception de nos outils de production. Pour notre nouvelle chocolaterie ouverte à Morlaix en 2021, 1200 m² de panneaux photovoltaïques ont ainsi été disposés sur le toit. Le bâtiment de 2 500 m² est aussi peu énergivore que possible : la conception et l’isolation ont été travaillées au maximum, ainsi que les systèmes de récupération d’énergie thermique, la ventilation double flux ou la consommation d’eau en circuit fermé. Nos bateaux sont également équipés de panneaux photovoltaïques sur le pont. Des hydrogénérateurs, un système de double flux et une très forte isolation contribuent à améliorer leurs performances énergétiques. C‘est aussi la première fois qu’une chaudière à pellets est incorporée sur un navire de marine marchande. Nous envisageons notre impact environnemental au travers d’une vision globale qui va du champ à l’assiette et passant par la fin de vie de nos emballages. Aujourd’hui composés à 96% de carton, ces derniers sont un véritable enjeu pour Grain de Sail car ils doivent être aussi vertueux que possible, tout en respectant les normes alimentaires et en protégeant le produit sans pour autant en altérer le goût. Côté déchet, le plus important reste le carton, qui reste relativement facile à gérer. Sur le chocolat, nous avons très peu de pertes. Et ce qui est pratique avec cette matière première, c’est que tout peut être refondu. On a ainsi mis en place un système de vente en vrac dans notre boutique. Les résidus de café sont, quant à eux, valorisés dans les milieux horticoles, en remplacement des copeaux de bois par exemple. Une expérimentation est en cours dans la teinture textile. Comment la dimension sociale se décline-t-elle ? Notre politique phare, même si nous ne le mettons pas forcément en avant très souvent, consiste à favoriser l’intégration de personnes en situation de handicap. Initialement, la chocolaterie était directement basée dans les locaux de l’ESAT Les Genêts d’Or à Morlaix pour faciliter ce partenariat. Nous travaillions main dans la main, après avoir amené nos machines et notre équipe. Puis les capacités du local ont fini par être dépassées. Donc, lorsque nous avons construit notre propre chocolaterie en 2021, nous avons réalisé des aménagements particuliers pour permettre l’accueil de personnes en milieu protégé. Aujourd’hui, une quinzaine de personnes de l’ESAT travaillent avec nous tous les jours, avec leurs encadrants. Cette inclusion et cette sensibilisation nous plaisent énormément. L’apprentissage se fait vraiment dans les deux sens. Concernant notre politique salariale, toutes nos équipes sont rémunérées au minimum 18% au-dessus du SMIC. L’écart entre les salaires les plus bas et plus élevés (direction générale incluse) est seulement de 1 à 3. C’est symbolique, mais aussi tangible. Pour venir travailler chez Grain de Sail, notamment les postes de direction, ce sacrifice doit être accepté pour le compte du groupe. Cette approche nous permet d’avoir un taux de turn-over extrêmement réduit, notamment dans ces postes de direction. Chacun est prêt à ce sacrifice et se retrouve largement dans les valeurs de l’entreprise. Par ailleurs, notre engagement social se démontre par notre soutien à diverses associations. Et plus récemment, nous avons mis en place une convention de mécénat en produit partagé avec Océanopolis Acts. Ce partenariat vient renforcer une volonté mutuelle d’agir aujourd’hui pour un demain meilleur et de développer des activités “à sens” respectueuses de notre planète. Entre l’Amérique du Nord et les Caraïbes, nos voiliers assurent aussi un transport humanitaire de matériel médical. Une fondation à New York collecte ce matériel auprès des cliniques et des hôpitaux. Il est ensuite redistribué à des organisations non gouvernementales locales en Guadeloupe et République dominicaine, pour des hôpitaux de campagne ou des cliniques mobiles. Comment maintenir la pérennité de l’entreprise ? Pour qu’une entreprise soit durable, il faut qu’elle soit pérenne financièrement, se sustenter et assurer derrière les salaires, les investissements, etc. Grain de Sail est une entreprise familiale, détenue à 90 % par Jacques et Olivier Barreau. Il n’y a pas de dividendes, même pour les autres actionnaires. Nous n’avons pas de problème à gagner de l’argent, il faut que l’entreprise soit rentable. Mais la grosse question d’aujourd’hui, c’est où va l’argent ? Chez Grain de Sail, tout le profit est réinvesti dans l’entreprise. C’est ce qui nous permet de continuer ce projet assez ambitieux, surtout d’un point de vue capitalistique. Depuis trois ans, nous avons également mis en place l’entité Grain de Sail Participations. Nos salariés ont alors la possibilité de prendre des participations à la holding, et de bénéficier de la plus-value qu’ils génèrent pour l’entreprise. Aujourd’hui, plus de la moitié des salariés ont fait ce choix. La performance économique et la bonne gestion des ressources de l’entreprise permettent de concrétiser nos différents projets. Cela démontre qu’une entreprise bien pilotée financièrement, peut concilier valeurs sociales et environnementales avec pérennité économique. Quelles améliorations comptez-vous apporter à cette démarche RSE dans les années à venir ? Grain de Sail vient juste de recevoir le label PME+. Ce label RSE des entreprises françaises indépendantes, fournisseurs de la distribution, alimentaire et non alimentaire, est porté par la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF). Cette labellisation fait suite à un audit externe, effectué sur site par Ecocert Environnement. Un niveau de conformité minimal de 65% doit être atteint pour obtenir le label, et Grain de Sail a eu la joie d’obtenir 91% pour son premier audit ! Jusqu’à présent, nous avons fait beaucoup de choses par nous-même, avec les valeurs et les convictions que nous portons. Cette démarche vient donc valider notre intuition et nos acquis. Ce travail de fond a démarré depuis trois ans maintenant avec les obligations RSE pour “Produit en Bretagne”, la marque des savoir-faire bretons et responsables. Et il y a un an et demi, nous avons poursuivi ce chantier avec la solution EcoVadis qui nous a permis d’identifier des opportunités ou des manquements parfois. Nous sommes encore une petite entreprise, qui a débuté il y a seulement 10 ans, donc ce travail nous a permis de structurer notre documentation. En parallèle, la certification ISO 9001 au printemps 2023 pour la chocolaterie a complété cette formalisation de notre approche RSE. Un de nos objectifs, d’ici à 1 ou 2 ans, est d’obtenir le label B-Corp, qui valorise les entreprises à impact positif. Il est assez complet dans son approche et bien reconnu à l’international. Un autre sujet récurrent chez Grain de Sail consiste à trouver des solutions pour la distribution de nos produits en France. Nous réduisons volontairement le rayon d’achalandage à moins de 500 km de nos unités de production. En étant présents dans 1 300 points de vente à l’heure actuelle, nous sommes bien obligés de prendre nos camions pour les livrer. Nous restons très vigilants par rapport à cela, mais les solutions manquent aujourd’hui. Certes, l’infrastructure existante fonctionne bien, mais reste très carbonée. Une des idées que l’on a imaginées, c’est de rapprocher autant que possible nos unités de production des consommateurs. Une nouvelle unité de chocolaterie et de torréfaction devrait donc démarrer à Dunkerque fin 2024 ou en 2025. Cela nous rapprocherait du bassin parisien, et nous ouvrirait le nord et l’est de la France, tout en étant intéressant géographiquement pour de l’export. À terme, une autre chocolaterie dans le Sud-Ouest reste envisageable, pour nous permettre d’accoster avec nos navires et de produire sur place. Pourquoi faire le choix de ne pas être certifié “commerce équitable” ? Notre choix se justifie pour plusieurs raisons. Premièrement, travailler avec des organismes certificateurs signifie qu’une part leur revient. La question est : quelle part est réellement redistribuée aux producteurs ? Deuxièmement, Grain de Sail travaille uniquement dans deux pays (la République dominicaine et le Pérou, qui basculera prochainement vers l’Équateur) et seulement quelques coopératives, avec des producteurs que l’on connaît et avec qui nous échangeons depuis des années. Nous n’avons qu’un seul intermédiaire et préférons négocier avec eux en direct. Nous sommes en confiance, et nous reversons des primes directement aux coopératives. Notre système n’est peut-être pas parfait, mais nous prenons cette responsabilité-là, en assurant un “revenu digne” aux producteurs comme le fait le commerce équitable, tout en les fidélisant. Rencontrez-vous certaines limites pour combiner RSE et goût de l’aventure ? Je dis souvent qu’en se posant les bonnes questions, on obtient de meilleures réponses. Nous sommes tout le temps en train nous poser ces questions. Quelle est la prochaine étape ? Comment assurer cette cohérence dans toutes les facettes du projet Grain de Sail ? Parfois, nous identifions nous-mêmes des choses, parfois ce sont des retours de consommateurs, d’experts, de divers échanges ou encore d’audits. Tout est alors question de temporalité. On parle fréquemment chez Grain de Sail de “séquences de développement”. Nous identifions parfois des actions ou des projets que nous ne sommes pas en mesure de faire sur le moment, parce que les solutions ne sont pas encore industrialisées, pour des capacités en ressources humaines, des adaptations à faire en interne ou tout simplement pour des raisons de budget. On se dit alors que nous arriverons à le faire, mais en séquençant dans le temps, en restant en veille, avec une feuille de route pour y arriver. Grain de Sail II, dans le sillage de son grand frère Comment le voilier cargo Grain de Sail II va-t-il contribuer à renforcer vos actions ? Grain de Sail II va permettre de tendre vers 100% de transport décarboné pour nos cafés verts et nos cacaos. Arrivé en France fin novembre 2023, il sera opérationnel début 2024. Son premier départ transatlantique est prévu en février. Doté d’une capacité d’emport de 238 palettes, soit 350 tonnes, cette goélette de 52 m de long assurera un service de groupage de marchandises à la palette géré depuis le hub logistique de la flotte, installé à Saint-Malo. Sa vitesse de croisière de 11 à 12 nœuds lui permettra de relier Saint-Malo à New-York en 15 à 18 jours, réduisant significativement les émissions carbone. 3 à 5 transats par an sont donc envisagées, contre 2 aujourd’hui avec Grain de Sail I. Cette nouvelle route maritime permettra par ailleurs un service de transport décarboné pour le compte de clients. Aujourd’hui, des fabricants de produits à forte valeur ajoutée font déjà appel à Grain de Sail Logistics pour transporter du vin, des spiritueux, de la parfumerie, de la maroquinerie, des cosmétiques ou encore des produits pharmaceutiques La filière vélique en France commence à prendre de l’ampleur et Grain de Sail, pionnier de la décarbonation du transport maritime moderne, entend continuer à être leader de ce marché. Propulsion vélique grain de sailtransport maritime à la voiletransport vélique