Association Wind Ship : “L’image de la propulsion vélique a évolué” guillaume, 8 avril 202427 juin 2024 Créée en 2019, Wind Ship est l’émanation française de l’International Windship Association. Lise Detrimont, déléguée générale et cofondatrice de l’association, présente cette organisation dédiée à la promotion de la propulsion des navires par l’énergie du vent et à la structuration du secteur vélique en France, et à l’international. Une initiative à laquelle la Bretagne peut contribuer, à l’heure où le pacte vélique a été signé par Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Energie, et Hervé Berville, secrétaire d’État chargé de la mer et la biodiversité. Un pacte dont l’association a été le porte-parole. Pouvez-vous présenter l’association Wind Ship ? Wind Ship est une association loi 1901 créée en 2019 avec 5 membres : les armateurs Neoline et Zéphyr & Borée, le bureau d’études D-ICE Engineering, son actuel président Florent Violain et moi-même. Sa création intervient cinq ans après celle de l’International Windship Association (IWSA). Basée à Londres elle vise à promouvoir l’utilisation du vent dans la marine marchande. En 2017-2018, Florent Violain, qui côtoyait l’IWSA, s’est posé la question de savoir si ce type d’initiative existait en France. Il a proposé des premières réunions très ouvertes sur le sujet auxquelles sont venus participer des représentants de l’État, des entreprises du domaine, des universitaires, des collectivités. De ces réunions, a commencé à émerger un petit groupe informel pour essayer de mener des actions et approfondir le sujet. Après trois mois de diagnostic pour déterminer les besoins des acteurs, l’intérêt d’avoir une entité pouvant agir comme porte-voix de ce secteur s’est confirmé en janvier 2020. L’association s’est donc créée avec l’objectif de mettre en œuvre une feuille de route visant à accélérer la transition vers un transport maritime plus propre et décarboné grâce à la propulsion des navires par le vent, une énergie immédiatement disponible, renouvelable et gratuite. Florent Violain, président, et Lise Detrimont, coordinatrice, font partie des cofondateurs de l’Association Wind Ship. Quels sont les objectifs de l’association ? Wind Ship a trois principaux objectifs. L’un porte sur le travail autour de l’image et la notoriété du sujet en l’expliquant, en déconstruisant les préjugés et en fournissant l’information la plus objective possible et fidèle à la réalité. La création d’un livre blanc peu de temps après la création de l’association entre dans ce cadre. Le deuxième est de travailler sur les conditions de compétitivité d’un secteur industriel qui s’établit aujourd’hui en France. Il s’agit de positionner le secteur vélique dans les feuilles de route, des appels à projets, et certaines actions stratégiques. Lorsque l’on parle décarbonation ou mobilité, on pense rarement au maritime, et quand on parle décarbonation, on parle beaucoup du changement de carburant et assez peu de trouver une autre source d’énergie et de changer plus globalement l’organisation de la chaîne logistique. La propulsion par le vent permet de réinterroger cela. Enfin, le troisième objectif est de guider les nouveaux arrivants dans ce secteur. Les premiers projets que l’on connaît comme TOWT, Neoline, Zéphyr & Borée ou Grain de Sail ont mis du temps avant d’avoir un premier navire. Dans un secteur comme celui-ci, face à l’urgence climatique, on ne peut plus se permettre d’attendre. Il faut vraiment réussir à aller plus vite, donc nous essayons d’accompagner collectivement ce secteur en proposant des outils, des guides d’analyse ou des mises en relation, qui vont permettre de comprendre plus facilement les freins, les réglementations, etc. Ensuite, nous avons des missions classiques, comme l’animation et la représentation des acteurs, en créant des relations avec tout l’écosystème. Faire en sorte, par exemple, que des armateurs échangent avec des équipementiers, des chantiers, des financeurs en dehors d’une relation commerciale ainsi qu’entre eux. Enfin, nous collectons l’information et la consolidons, afin de pouvoir fournir les connaissances les plus à jour et fiables de ce secteur. Combien de membres regroupe l’association ? Aujourd’hui, l’association regroupe 43 adhérents dont le cœur de métier est la propulsion vélique. Ils sont au contact direct des textes, des réglementations, des indicateurs d’efficacité énergétique. Elle intègre également une dizaine de membres “d’équipage”. Ces derniers sont des financiers, des avocats, des fournisseurs qui accompagnent l’association. Nous travaillons sous forme de commissions à l’élaboration de notes, de guides pratiques pour aider les nouveaux arrivants à aller plus vite, à bien présenter leur business model quand ils vont rencontrer une banque, par exemple. Cela complète le travail effectué avec les entreprises membres qui se fait davantage dans le cadre d’un groupe de travail technique, sur les réglementations, etc. “La propulsion par le vent appliquée à la marine marchande n’est pas ce qu’on avait il y a une centaine d’années” Quelles sont les idées reçues que l’association Wind Ship souhaite déconstruire ? Il y a évidemment l’image des clippers des années 1930, dans laquelle on voit un équipage pléthorique s’acharnant sur des bouts, qui passent le cap Horn dans des conditions difficiles, ou encore des plaisanciers. Cela fait partie de l’imaginaire lorsque l’on parle de bateau à voiles. Il faut réussir à les déconstruire et expliquer que non, la propulsion par le vent appliquée à la marine marchande n’est pas ce qu’on avait il y a une centaine d’années. Nous faisons donc un premier travail explicatif sur les systèmes de gréements, qui peuvent être classiques, mais qui seront beaucoup plus automatisés, ou avec des innovations. Les navires peuvent avoir des voiles de moindre taille, avoir des profils semblables à des ailes d’avion afin d’augmenter la portance et qui prendront moins de place sur un pont, permettant ainsi de mener les opérations commerciales sans avoir à augmenter la taille de l’équipage. Le deuxième préconçu porte sur la vitesse. Certains pensent que les horaires ne seront jamais tenus avec les voiles. La réglementation ne nous autorise pas à être à 100% à la voile. Un moteur est obligatoire afin de faire face à certaines conditions en mer. Selon le choix de l’armateur, soit il va choisir d’être à une vitesse relativement faible et choisir de réduire au maximum sa consommation du moteur, comme le fait par exemple Grain de Sail. Soit il va passer des contrats avec une heure d’arrivée précise. Pour la respecter il effectue en amont des séries de routages, d’études statistiques sur les données météo, sur les conditions de mer, etc. afin de caler son modèle opérationnel. Aujourd’hui, il est assuré de pouvoir arriver à temps. Si besoin, il peut s’appuyer sur un moteur. C’est toute l’évolution qu’il y a eu ces vingt dernières années en termes de connaissances et d’appropriation de ce qui se passe sur les phénomènes météo et d’outils permettant de router au mieux. Un autre point est important : lorsqu’on parle de transport maritime, on omet souvent qu’il y a une phase de transport terrestre de pré et post-acheminement. Cela peut notamment être par camion sur quelques centaines de kilomètres pour arriver dans des hubs logistiques, comme Anvers-Bruges ou Rotterdam. Les conteneurs sont chargés sur des navires, déchargés rapidement, mais restent à quai le temps qu’ils soient traités avant d’être finalement transportés par camion pour atteindre leur destination initiale. Dans les modèles que nous avons, avec notamment des néoarmateurs français, il y a du point à point. Les marchandises sont chargées directement à bord du navire. Elles vont effectuer leur traversée avec un ou deux jours de plus, probablement. En revanche, elles seront au plus près de l’endroit où elles seront déchargées. Et donc, in fine, sur toute la chaîne logistique, on n’a pas forcément perdu du temps. Le troisième sujet, c’est la formation des marins. Il y a effectivement une acculturation à refaire. Mais on va proposer des systèmes automatisés, qui vont permettre aux marins d’être beaucoup plus attentifs à l’environnement dans lequel ils travaillent. Aujourd’hui, ils passent beaucoup de temps derrière un écran, à rentrer des données, à expliquer ce qu’ils font, etc. Et là, on va leur permettre de recoller un peu plus aux conditions d’environnement dans lesquelles ils naviguent. Des projets tous azimuts pour l’Association Wind Ship Quels sont les projets qui ont été menés par Wind Ship et quels sont ceux à venir ? Le tout premier projet que nous avons mené était le livre blanc publié en 2022 (et disponible sur notre site Internet). L’objectif était de constituer un document qui fasse référence. Nous avons été aidés par la Région Bretagne, l’ADEME, ainsi que les métropoles de Nantes et de Saint-Nazaire. Ensuite, nous avons mené un projet avec l’École nationale supérieure maritime (ENSM), afin d’élaborer une première formation pour l’acculturation des marins à la propulsion par le vent. Ce projet intègre aussi un volet sur la mise en place d’un simulateur du comportement d’un navire vélique. La société D-Ice Engineering a travaillé sur cet aspect. Wind Ship a piloté ce projet collaboratif impliquant des armateurs et des équipementiers. Les premiers ont fait part de leurs besoins en termes de formation de leurs marins. Les seconds ont expliqué le fonctionnement de leurs équipements afin de les intégrer dans la formation. Enfin, nous avons fait tester ce module par des officiers navigants expérimentés et des officiers étudiants. Ce projet a pour but de mettre à mal l’idée que rien n’existe pour former les marins et que l’équipage sera démuni face à ces systèmes de voile. Nous avons également travaillé, grâce à l’appui de l’ADEME, sur le projet NORVENT, dont l’objectif était de réaliser un état des lieux sur les méthodes et les outils existant pour faire des évaluations de performance. Nous avons mobilisé des bassins d’essai, des armateurs, des équipementiers, des banquiers, tous les organes qui utilisent la performance dans leur travail. Dans la foulée de NORVENT, nous travaillons sur le projet OPERVENT. Il s’agit de proposer des outils pédagogiques de compréhension de ce qu’est l’évaluation de performance des navires avec des voiles. Nous venons de terminer l’étude VENFFRAIS, qui a permis de définir avec un consortium de 34 acteurs, les axes de travail qui permettront le changement d’échelle du secteur vélique dans les cinq prochaines années. Un travail impulsé par nos échanges avec le SGPI et suivi pas à pas par un comité interministériel. En parallèle de ça, toujours sur le sujet de la formation, nous venons de lancer un projet qui s’appelle CAPVENT. Il s’agit de poser un diagnostic sur les besoins en métier et compétences de l’ensemble du secteur vélique. Non seulement pour les marins, mais aussi pour la conception des navires, l’intégration des équipements à bord, l’exploitation, la maintenance. Il doit permettre de répondre aux changements induits par la réémergence du vélique : s’il y a besoin d’une formation spécifique, si elle existe, si on doit la créer, où l’implanter. L’idée, à terme, est que les organismes de formation puissent proposer une offre de formation répondant à chaque besoin. Enfin, nous travaillons sur ReMoVe, un projet porté par l’ADEME et lié au report modal et au verdissement des flottes. Il ne concerne pas uniquement le maritime, mais également le fluvial, le ferroviaire et le portuaire. Nous portons le sujet de la propulsion par le vent avec un travail sur la manière dont nous pourrions faire renaître les conditions nécessaires pour un report modal avec du cabotage maritime. “Un vrai regard de la part des armateurs et pas uniquement des néo-armateurs” L’image de la propulsion vélique a-t-elle évolué comme vous le souhaitiez ? Oui, son image a bien évolué. Lorsque nous avons fait notre toute première réunion, nous étions regardés avec un peu de condescendance. Là où il nous reste du travail à effectuer, c’est sur la vision de certains qui évoquent un “transport de niche”. Lors de la période Covid, le transport maritime était devenu onéreux, et soudain, utiliser des voiles devenait très rentable. Aujourd’hui, ses prix ont dégringolé et donc passer par un navire à voiles coûte plus cher. Les produits qui sont les plus faciles à capter pour ce type de fret sont ceux à haute valeur ajoutée et notamment ceux qu’on ne pourra pas produire localement (café, cacao). Aujourd’hui, plus de 30 grands navires de charge sont équipés de systèmes véliques. Ces cargos transportent du minerai, des produits pétroliers raffinés, font du ferry. Du transport très conventionnel. Lorsque le vent est utilisé comme propulsion auxiliaire, comme c’est le cas avec ces cargos, nous ne sommes pas du tout sur un marché de niche. C’est encore en partie le cas, lorsque le vent est le moyen principal de propulsion – mais le roulier de Neoline va démontrer le contraire. Sentez-vous que les armateurs se sont emparés du sujet de la propulsion vélique ? Aujourd’hui, nous avons une trentaine de cargos équipés de solutions véliques. Il y a deux ans, nous en comptions une dizaine. Le nombre a donc triplé et cela va continuer. Seize autres devraient être munis de voiles durant le premier trimestre. En France, huit nouveaux navires devraient arriver pour 2024. Il y a donc un vrai regard de la part des armateurs et pas uniquement des néoarmateurs français. On compte des grands groupes comme Accor avec l’Orient Express Silenseas, le plus gros navire de croisière qui naviguera sous voile. Des armateurs plus conventionnels, comme Louis Dreyfus Armateur, Jifmar, Marfret ou Maritime Nantaise passent à du vélique car il existe, actuellement, très peu de solutions pour décarboner très fortement. En termes de réglementation, quelles avancées ont été effectuées pour le secteur vélique ? Il y a plusieurs niveaux de réglementation, international, européen et national, et tout n’avance pas à la même vitesse. En juillet 2023, l’OMI (Organisation maritime internationale) a décidé, non pas de réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, mais d’atteindre le zéro net émission. Cela relève très fortement l’ambition. Dès 2030, l’objectif est de compter entre 5% et 10% d’énergie renouvelable à bord. Le vélique s’intègre entièrement à cette ambition. Au niveau européen, des mécanismes ou des réglementations deviennent plus contraignants. Je pense à l’entrée du transport maritime dans le système d’échange des quotas d’émission qui vont rendre le transport maritime plus cher. Cela rendra donc la solution vélique plus intéressante. Et quelles avancées reste-t-il à effectuer ? En France, nous avions un dispositif appelé “suramortissement vert” qui permettait d’avoir de l’aide fiscale sur l’équipement de navire avec la propulsion par le vent. Ce texte a été revu par le gouvernement le 29 décembre 2023 afin de le mettre en conformité avec un règlement européen. Cela réduit fortement la possibilité d’aide sur ces premiers navires. Également, au niveau européen, il y a un enjeu de taxonomie qui reconnaît des systèmes plus propres que d’autres et on se retrouve dans quelque chose d’assez flou. Une définition évoque le principe d’émission nulle à l’échappement. Or, le vélique ne répond pas à cette définition. Donc la filière risque de ne pas pouvoir être financée au même titre que des carburants alternatifs qui eux vont être pourtant beaucoup plus carbonés à produire. Comment la Bretagne peut-elle prendre part à la mise en œuvre d’un véritable secteur vélique ? Tout d’abord, la Bretagne est la première région française à avoir adopté sa feuille de route pour la propulsion par le vent en décembre 2023. Elle inscrit donc le secteur dans ses orientations politiques, ce qui est un très bon signe pour son développement. Les traversées transatlantiques sont très intéressantes à la voile. La Bretagne a donc un intérêt à développer des offres. Ensuite, elle peut s’appuyer sur son écosystème naval, nautisme et course au large existant. Certaines des solutions développées dans la voile de compétition peuvent alimenter et enrichir ce qui est fait pour la marine marchande, même si ce sont deux mondes différents. Tout ne sera pas transposable, mais un certain nombre de passerelles peuvent se faire, il n’y a pas de temps à perdre. Propulsion vélique association wind shippropulsion véliquetransport maritime à la voile